"Dites-nous comment survivre à notre folie"
Aujourd’hui, c’est la pleine lune il me semble, en tout cas
c’est la fête à Kyoto, car c’est demain que les japonais fêteront la mort de
l’hiver et l’arrivée du cycle du printemps, d’énormes feux brûlent dans les
temples et des étals de pâtisseries sont installés dans les allées.
Je n’ai pas vérifié, mais je pense que cela correspond au
nouvel an chinois, et à l’hexagrame « le retour » dans le Yi-King.
Dans les temples il y a des feux qui brûlent, et des
montagnes de bouteilles de sake, enveloppées dans des papiers de soie imprimés.
C’est beau.
Ce matin je suis descendu en vélo jusqu’au musée d’art
moderne et au musée d’art contemporain qui lui fait face.
Sur l’esplanade, il y avait un groupe de petits mongoliens qui jouaient (la photo des enfants qui rient) et ça m’a fait penser au roman de Kenzaburô Oé au titre admirable:
Dites-nous comment survivre à
notre folie.
J’ai passé du temps
dans les deux musées qui sont une illustration de la fameuse théorie de
Tanizaki relatée hier.
On sent qu’ils se
sont totalement fourvoyés au 20 ème s., rien ne m’intéressait.
Par contre, je
trouve qu’il y a des artistes comme Kusama, Murakami et les acolytes de sa
factory qui eux ont traversé tout ça et inventent une nouvelle forme d’art qui
m’intéresse beaucoup.
Après ces longues
heures dans les musées j’ai repris mon vélo et j’ai grimpé sur la colline au
dessus de Gion pour retrouver le Ryokan (auberge avec chambres traditionnelles,
tatamis etc.) dans lequel je logeais lors de mon premier séjour.
Puis je suis
descendu dans Gion à vélo. Gion est le quartier ancien de Kyoto, où vivent les
fameuses geishas.
C’était justement
l’heure à laquelle sortent les geishas. Dans la nuit c’est amusant de les voir
flotter sur leur socques de 20 cm de haut, dans leur kimonos soyeux, le visage impeccablement
grimé.
Je n’arrive pas à
les voir comme des êtres humains. Je pense que c'est l'effet recherché car elles incarnent une parfaite désincarnation.
Celles que j’avais
prises en photo la dernière fois se sont retrouvées en train de brûler dans un
énorme feu dans Fûdo, peut-être pour célébrer le retour du printemps.
Ce qui me touche chez elles c’est que le Japon ait inventé ce type de féminité, c’est aussi
curieux et irréel que les bonzaïs, le Temple d’or, ou les jardins de gravier…
Il en va là aussi je pense de l’illusion matérialisée…
Je suis descendu
jusqu’à la Gare en vélo complètement au sud et lorsque j’y suis arrivé j’ai regretté
d’y être venu car il faisait froid, j’étais fatigué de pédaler et j’habite tout
au nord. Je suis remonté par les avenues qui me rappellent Shanghai et c’était
finalement agréable de voir cette autre partie de la ville beaucoup plus
commerciale et moderne.
J’ai contourné le
grand parc du Palais Impérial, j’ai traversé la rivière puis je me suis arrêté
devant un temple où brûlait un grand feu pou me réchauffer, on m’a offert du
thé brûlant et une crêpe fourrée de crème de sésame. La gentillesse et la bonne
humeur des japonais est désarmante.
Arrivé devant l’Institut
j’ai garé mon vélo et me suis dirigé vers le temple à proximité qui est celui
où l’on fête avec le plus d'intensité le retour du printemps.
Il y avait une foule
compacte qui se rendait au temple avec de chaque côté de l’allée sur 200 mètres
des forains qui vendent des pâtisseries.
J’en ai goûté
plusieurs, des bananes nappées de chocolat, des gâteaux mous et fourrés de
délicieuses crèmes.
Les têtes des
forains ne ressemblent pas du tout à celle des japonais que l’on voit à Paris.
Ils sont très
populaires, gouilleurs et on a l’impression qu’ils sortent d’un film du XIX ème
siècle, tant ils font des gestes, rient, interpellent les clients…
Ca m’a plu.
Je suis retourné
travailler dans ma chambre entouré de pâtisseries et de sake, avec les
montagnes blanches qui se détachent dans la nuit.